VIVRE AUTREMENT
Atelier dont le thème touche intimement à l’actualité. Hors de toute considération morale, sociale ou juridique, nous allons nous pencher sur l’ EMPRISONNEMENT. Travail d’imagination et de sensibilité. Ci-dessous un poème de détenu tiré du recueil « Paroles de Détenus » réalisé sous la direction de J.P. Guéno.
VIVRE AUTREMENT (poème qui sera défini ultérieurement).
Lire le texte, s’en pénétrer et passer à la phase A –
Une branche d’arbre qui bouge
Ombre chinoise
Ombre chinoise
Sur le verre dépoli
De la fenêtre
Il y a aussi des barreaux
Toujours
Il y a du silence
Complice
Et de la vie
Toujours la vie
Et de l’amour qui se balance
Sur les agrès de nos cœurs gros
Je suis
Verbe être
Si vil civil et poli
Je suis dans le vent qui déboise
Le vent qui torture et qui ronge
Le vent d’ennui
Dans la nuit qui revient inlassable
Ma nuit
Où ma peine indéfinissable
M’attend.
1
A – METTRE LA PONCTUATION puis lecture en tour de table. Constater si besoin le changement de sens induit par la différence de ponctuation.
B – IMAGINER L’AUTEUR d’après cette lecture et d’après la liste de mots ci-dessous. En faire un portrait.
Dans votre texte inclure, DANS L’ORDRE, les 15 mots suivants :
attente
s’interroger
fourmis
ennui
hivernal
épie
remords
corbeau
tourner
couchette
mains
esquisser
stylo
pigeon
murs
Premier texte :
Je ne sais ni pour qui, ni pourquoi mais je suis dans l’attente. J’ai laissé portes et fenêtres ouvertes. Je prévois l’imprévu. Je m’interroge. En plein vent. Immobile je suis. Immobile je reste. Des fourmis tout partout. Y compris dans mon cerveau. Je ne suis qu’ennui. Mon ressenti est hivernal. Et je sais bien qu’on m’épie. Dans ce silence morbide je n’ai que des remords. J’ignore le corbeau qui tournicote autour de moi. Bien plantée sur ma couchette j’attends. Les mains croisées. Décroisées. Recroisées. J’esquisse des sourires. Pour personne. Même pas pour moi. Je surveille mon stylo. Il baille aux corneilles. Je l’ai délaissé, je le sais. Faut surtout pas qu’il me prenne pour un pigeon. Moi aussi je tourne en rond. Je vis autrement. Entre quatre murs. Je crève d’être.
Marie-Christine( l’auteur est un prisonnier)
SECOND TEXTE
Je suis las maintenant, si las de toute cette vie d’attente dans ce fauteuil de velours rouge qui surplombe la rue discrète de la Seine au cœur de l’histoire de Paris. Lourd de mes doutes et de mes grandes ambitions. Quand mon cerveau s’éclaircit entre deux bribes d’apesanteur, je m’interroge sur ma vocation politique passée ; tout ce temps à m’agiter en tout sens. Les hommes sont ils donc condamnés, quelque soit leur rang, à n’être que fourmis policées ?
Mon quinquennat à venir n’est maintenant voué qu’à l’ennui mortel de la compagnie de ces maîtresses hivernales que sont grande vieillesse et mémoire partie.
Réduit à épier les passants avec les remords des rendez vous manqués, des corbeaux que je n’ai pas été, des vies que j’aurais pu épouser.
Ce matin je tourne cette idée dans mes pensées décousues comme si elle était une lady à séduire derrière la tenture de la couchette de Bernadette, je tends ma main ridée pour des poignées de mains invisibles pour saisir l’énergie d’un quidam, d’un électeur possible, j’esquisse le sourire automatique qui m’a tant rapporté de rêves de gloire.
Je n’ai plus que ce stylo pour refaire paraître l’homme que j’ai été en signant mon nom à perpétuité, un peu pigeon étourdi, un peu requin assassin.
Dans mon squelette qui hoquette et dans l’âme de la beauté des hommes que j’ai rencontrés, je puise inlassablement l’encre bleue du frêle espoir qu’entretient l’homme face au mur.
Tant que la bougie brûle encore.
Myriam ( portrait d’un homme politique déclinant)
C – VERLAINE « Mes Prisons »
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Dans cet ouvrage, Verlaine raconte ses jours de captivité dans les prisons belges d’abord puis enfin à Mons. C’est en effet suite à sa brutale rupture avec le poète Arthur Rimbaud, qu’il menaça avec un revolver et qu’il blessa d’ailleurs, qu’il fut condamné à deux ans de prison.
Il y décrit ses jours où il se lamentait sur lui-même mais également ceux où il se sentit -cela me paraît un peu paradoxal de le dire mais, avoue Verlaine lui-même- presque heureux. La question est de savoir comment est-ce que l’on peut être heureux en prison, privé de ses droits, enfermé entre quatre murs ? La réponse, Verlaine, lui, l’a trouvée et c’est ce qu’il nous décrit ici avec beaucoup de sensibilité. |
À partir de cette trame, imaginez- vous votre prison, physique ou morale, n’importe laquelle. Décrivez votre quotidien, votre ressenti, etc… ( le surréalisme est permis, voire souhaité)… Mais s’y ajoute une contrainte bien évidemment :
n’employer AUCUN des mots donnés en B –
PREMIER TEXTE :
Je devrais compter les jours. Mais je suis nul en maths. Lever à 6 heures. Extinction des feux à 22. Chaque journée pourrait sembler une éternité. Rien à faire. A part manger, dormir ou gamberger. C’est comme ça que je paye ma dette à la société. Logé, nourri. Pas de voisin à me coltiner. Ici c’est le pied. Une prison modèle. Pour des mecs qui ne le sont pas. J’ai été condamné à 20 ans. Il y a longtemps. Je connais plein de surveillants. J’étais là à leurs débuts. Les ai guidés. Ils ont apprécié. Et me bichonnent. Je suis installé tout au bout du couloir. J’ai la paix. Je n’ai jamais songé à m’évader. Mon avocat voulait plaider pour une remise de peine. Non mais… Je l’en ai dissuadé. Ma prison n’est pas une prison. Ici je suis mieux que bien. Mieux qu’ailleurs. Je vis autrement.
Marie-Christine P.
SECOND TEXTE :
Elle est là, toujours là
Elle est là, toujours dans l’attente, elle s’interroge sans fin.
Une branche d’arbre bouge.
Cet été les fourmis, en procession l’avaient colonisée. Ses petits enfants s’amusaient d’elles.
Elle les revoit turbulents, fripons et tendres. Tellement tendres.
Elle, elle est là, elle attend essayant d’enfouir ses ennuis au plus profond.
Sa tasse de thé à la main, entre deux goulées, elle déguste une madeleine. Elle a toujours aimé les madeleines, surtout en période hivernale.
Sur ses genoux, ‘’ Les fleurs du mal’’ elle les lit, les relit sans cesse.
Devant sa fenêtre, il y a la lumière du jour, elle épie les moindres mouvements au-delà de la haie flamboyante.
Ses remords l’envahissent surtout depuis qu’elle a reçu trois lettres d’un corbeau. .Elle a du mal à imaginer comment il a su et qui peut-il bien être.
Et ça tourne, tourne dans sa tête. Elle était si jeune à l’époque et savait si peu ce qu’était la vie… Il faut dire que ses proches ont cru l’aider. Ils se sont lourdement trompés. Ils l’ont poussée à prendre une décision qu’elle regrette tant et tant.
Elle se revoit dans la couchette du train qui la ramenait de Paris, transie, aux abois. Elle n’était plus la jeune fille émerveillée par la vie qu’elle avait été naguère.
Comment aurait-elle pu l’être ? Elle revoit ses mains orphelines, ses mains tremblantes. Elle les tendait devant elle esquissant de ses bras une corbeille autour d’une absence qui la hanterait t toute sa vie. Elle le savait et elle pleurait, pleurait.
Au matin, les yeux rougis, nauséeuse, elle était arrivée à Bordeaux. Ses parents, sur le quai raides, mal à l’aise l’attendaient .Anxieux.
Muette, elle les avait laissés la serrer maladroitement dans leurs bras.
Arrivée à l’Ombrière, elle n’avait pas quitté sa chambre. Elle avait pris un stylo et s’était mise à écrire. Elle n’avait jamais arrêté.
Un coup d’œil à la fenêtre, les pigeons sur le mur avaient trouvé leur pitance. Par grand froid elle pensait toujours à eux.
Elle était là.
Il y avait le silence et la vie, toujours la vie.
Ce n’était pas le vent qui la torturait mais sa peine indéfinissable (inaltérée) était là, encore là.
Elle l’attendait. Toujours.
Et la branche, encore cette branche qui, ombre chinoise, bougeait,.
Isemon
5
NOTE : aussi bien dans l’exercice B que dans l’exercice C, noter la différence de style. Et pourtant Marie-Christine, dans un texte lapidaire, est parvenue à insérer les 15 mots obligatoires.
Les écritures réalisées à l’atelier ont ce pouvoir de nous transporter insensiblement d’un univers, d’un style à l’autre, toujours dans le respect des consignes(!!)
Sylviane Blineau Janvier 2017