Atelier du 27 février 2018 « Pour un livre »

POUR UN LIVRE
Dans « Les Combustibles », Amélie Nothomb se joue très finement de la littérature. Elle, qui se définit comme « graphomane », y pose – entre autres – les données du problème suivant :
. en cas de pénurie de combustible, si l’on devait brûler meubles et livres pour se chauffer : in fine quel livre, quelle philosophie, quelle phrase garderait-on intact jusqu’à la fin ?
Car quelle phrase de quel livre vaut qu’on lui sacrifie un seul instant de chaleur physique ?
Les interventions d’un vieux professeur de lettres est révélatrice du fait que l’enseignement d’une matière (en l’occurrence la littérature et la pensée des auteurs) dévalorise parfois l’idée originelle de son utilité. Désamour programmé ? Ou bien défense inconditionnelle ?

 

A – Spontanément, en trois lignes, dire quel livre de quel auteur a marqué vos lectures. Et pourquoi ?

Tour de table vivifiant. Les titres retenus étant, pour la plupart, ceux de notre adolescence : Le Grand Meaulnes, le Journal d’Anne Franck, Les Fleurs du mal, Les Hauts de Hurlevent et tant d’autres. Heureux temps où découvrir, puis feuilleter un livre, en caresser les pages, en humer le parfum d’imprimerie : tout un univers jamais balayé par l’électronique…
B – Mettre en scène les circonstances d’une pénurie de combustible. Un décor. Un ou plusieurs personnages. Récit ou dialogue, peu importe. Mais il y a des livres dans ce décor. Et peut-être des choix à faire, mais pas forcément.
Pas de texte trop littéraire, trop pathos, trop abstrait.
Mais de la vie, du réel !
Texte « les combustibles » par Luigi :
Les combustibles
Nous étions là enfermés au sous-sol. Là-haut les bombardements avaient repris de plus belle. Depuis l’été, c’était ainsi. Parfois, on parvenait à s’éclipser pour aller chercher un peu de nourriture dans les habitations délaissées par la population. Mais c’était devenu un sport dangereux à cause des snippers. Maintenant l’hiver était arrivé. Avec le froid. Des températures qui nous atteignaient au plus profond de notre être et nous paralysaient.
Tous les meubles avaient été mis au bûcher pour pouvoir nous réchauffer. Un petit feu autour duquel, nous nous étions rassemblés. Nous quatre, mon frère, ma sœur et ma mère. Mon père et mon autre frère s’étaient fait descendre par un snipper lors d’une sortie. En plein automne.
Il ne restait plus dans cette pièce obscure qu’une étagère rempli de livres. Des livres d’histoires joyeuses, de fictions contrairement à notre réalité, qui elle, n’était pas vraiment une fiction.
Mon frère, après avoir brûlé l’étagère, prit un livre à terre.
Je l’arrêtai et lui dis :
  • Non, pas celui-là !
  • Pourquoi ?
  • Parce que…
  • Je n’en savais rien, je n’avais même pas vu la couverture dans la semi obscurité. En fait, je n’avais pas envie que l’on sacrifia ces livres, qu’on les brûla.
  • Alors lequel ? me demanda-t-il
  • Je ne sais pas. Il n’y a plus un morceau de bois ? Je vais aller en chercher dans les décombres et je reviens.
  • Non, ce n’est vraiment pas le moment, ça bombarde de plus en plus sans parler du snipper en face qui n’attend que cela.
Ma sœur et ma sœur se tenaient recroquevillées et ne disaient mot, absentes de la vie ou engourdies par le froid, comme immobilisées par le destin qui n’en finissait pas de poindre son funeste dessein : celui de nous anéantir.
– Je prends le gros dictionnaire, si tu veux, tiens celui-ci !
Je l’arrêtai d’un geste.
  • attends, je regarde.
Je pris le dictionnaire entre mes mains et le feuilletai. Je savais qu’il portait en lui toutes nos espérances. Mais une fois consumé, que resteraient-ils de ces espoirs, de ces espérances ?
  • Alors tu l’alimentes ce feu sinon les flammes vont s’éteindre et nous aussi bientôt !
  • J’avais détaché la couverture et lui avait tendu. Les flammes affaiblies se remirent à, vivre. Ensuite, je lui donnai les pages des dernières lettres : Z, Y, X…
Cela ne faisait pas beaucoup mais quand même. Il y avait plus de pages pour les premières lettres comme si les hommes n’avaient pas terminé de compléter le répertoire par lettre des mots. Ainsi, à la fin de l’alphabet, les mots étaient devenus plus rares. Il n’y en avait beaucoup moins qu’on pouvait mettre au feu.
Je continuai à lui tendre d’autres feuilles, en commençant par la fin. De temps en temps, je regardai la définition d’un mot. Parfois cela me semblait surréaliste lorsque je tombais sur des mots qui avaient perdu toute signification et même devenus leur propre antonyme comme les mots projet, promesse, prometteur pourtant réunis sur la même page.
Et j’aperçus les mots joie, et plus loin famille et encore plus loin bonheur…
Finalement, je pouvais les brûler sans regret. Ils n’étaient plus bons qu’à nous réchauffer le corps à défaut de nous réchauffer le cœur. Les mots, on y avait tous cru. Et maintenant, qu’en faisait-on ? Ils étaient là sans être là. Ils nous avaient conduit à la guerre, à la barbarie. Les mots avaient engendré tous nos maux et nous nous sentions tous maudits. Un jour, nous ferions partie de ces livres qui partiraient eux aussi en fumée…
« Les combustibles par Sylviane :
Juste pour un livre
Ils ont coupé le bois. Tout le bois des bois et forêts. Ils ont tout remplacé par des cultures de graines vitaminées, dévoreuses de terre fertile.
Ils ont fait semblant de ne pas s’apercevoir que leur planète bétonnée ne gardait plus l’eau, puis qu’elle ne recevait plus celle du ciel. Des générations ont essayé ensuite de survivre sur cette planète aride, de plus en plus froide. Plus une plante, plus un arbre ; seulement leurs graines de malheur. Dans ce désert, quelques savants restaient en quête de la solution miracle tandis que leur longue barbe gelait.
Ailleurs, sur une île isolée, les enfants Oméga, rares survivants, se terraient au plus profond du château familial, brûlant jour après nuit tout ce qui leur tombait sous la main.
Oméga fille et Oméga mâle avaient conclu un pacte. Chaque semaine, à heure fixe,
ils décidaient tour à tour la manière dont ils alimenteraient leur maigre feu. Un petit poêle de céramique bleue qui trônait au centre de la seule pièce habitée était en effet devenu l’objet de leur grande sollicitude.
Chaque soir, Oméga fille adorait regarder la danse des flammes où elle avait jeté jour après jour tout ce qui ressemblait à du bois. Bois de violette ou simple chêne, loupe d’orme, acajou, peu lui importait… Sans état d’âme elle les brûlait !
Oméga mâle, lui, passait son temps à rechercher partout le moinde bout de papier, son combustible préféré. Aucun magazine, aucun cahier, aucun livre, semblait-il, ne pouvait échapper à sa quête furieuse.
La semaine Z 80 se révéla férocement froide. Gel généralisé, routes impaticables, congères en murailles. Et celle qui suivit fut désastreuse : plus rien ne leur restait pour alimenter le poêle du salon.
Oméga fille avait gardé secrètement la clé de l’immense grenier où elle avait caché des caisses entières de livres. Tout ce passé devait s’enraciner dans l’avenir, quel qu’il fût, par tous les moyens.
Gardienne du trésor, elle allait souvent les caresser de ses doigts engourdis. Oméga mâle, qui l’avait suivie certain matin de grand froid, s’avisa de cette manne soudaine. Se plantant face à sa sœur, il cria au traître, à l’assassin ! Et ils échangèrent le plus hargneux des regards.
– Tu n’y toucheras jamais, disait l’un
– C’est ce que tu vas voir immédiatement, répondait l’autre
Le premier carton éventré, Oméga fille se jeta sur l’exemplaire numéroté des « Hauts de Hurlevent ». Une longue plainte. Elle se revoit, adolescente, dans l’extase de ses lectures. Se remémore ses attentes, ses frissons de peur, de joies aussi. Et, fuyant son frère, se précipite, le livre sontre son cœur, vers l’escalier de chêne.
Une dégringolade, un tintamarre. Et puis le silence.
Oméga fille n’est plus. JUSTE POUR UN LIVRE.
C – Sous forme de poème, conjuguer le verbe SE LIVRER. L’humour n’est pas à exclure ( le temps de conjugaison sera de votre choix).
 Voici la conjugaison de Marie-Christine :
Je me suis livrée à toi
Tu t’es livré à d’autres…
Il est temps que je te jette aux lions !
Nous nous sommes livrés pourquoi ?
Vous vous êtes livrés à qui ?
Ils se sont livrés pour rien…..
Puis celle de Luigi :
Quand je me livre, tu me délivres
Quand tu te livres, je te regarde
Quand il se livre, on le déshabille
Quand nous nous livrons, nous sommes défaits
Quand vous vous livrez, vous n’avez plus rien
Quand ils se livrent, ils n’ont plus rien à ajouter

Celle de Sylviane :
Je me suis livrée au marchand de livres
et toi, l’homme ivre en ta livrée carmin,
tu t’es livré à moi, prêt à virer de l’oeil !
Il s’est livré tout seul au petit jeu d’amour,
quand les autres se sont livrés
à espionner nos ébats fous…
Car nous nous sommes livrés sans retenue,
délivrés et tout entiers à notre nuit,
dans un livret d’étoiles.
Les deux conjugaisons de Monique :
Je me livrerai,corps et âme
Nuit et jour, livreras-tu ta flamme?
Elle, se livrera-t-elle pour un baiser?
Nous par chasteté, nous ne nous livrerons jamais!
Vous qui aimez qu’on vous délivre,vous vous livrerez sans hésiter
Elles se livreront ,pieds et poings liés!
Par l’écriture toute l’année je me suis livrée
Toi, tu t’es livrée, mais entre parenthèses, entre guillemets
Elle, si timide s’est livrée à moitié
Nous nous sommes livrées, enchaînées au papier!
Vous vous êtes livrées, vous vous êtes éclatées
Elles se sont livrées ,les poétesses de l’atelier!
Celle de Claire :
Se livrer,
Si votre coeur est écorché
Et ne peut maintenant aimer,
Libérez le pour le livrer
Indécemment et sans livrée !
Vivez les sentiments d’aimer,
Renoncez à toujours chercher
Explications pour se pâmer !
Rayonnez dans plaisirs d’aimer…


Et enfin celle de Francis :
Livrez-moi votre cœur sur vos lèvres d’ivoire
Et je vous livrerai au feu de ma mémoire.
Que nous livrions nos corps au combat de nos mains !
Qu’elles me livrent la mort car sans aucun chagrin
Vous livrerez ma vie à l’autel de l’amour
Dont vous, ma belle enfant, livrerez le secret
A celui qui vaincu vous livrera ces vers.
Atelier du 27 février 2018