Atelier du 31 juillet 2018  » BEAU, BEL BELLE »

BEAU, BEL, BELLE

(en grec beauté = kalos)

Le designer Philippe Stark a déclaré «  la beauté n’existe pas ». Interrogeons-nous donc sur ce qu’est la beauté. Plusieurs définitions :

. Qui cause une vive émotion capable de susciter l’admiration en raison de ses qualités supérieures – dépassant la norme – qui procure un plaisir esthétique ou érotique.

. C’est une notion abstraite liée à de nombreux aspects de l’existence humaine. . . .

. C’est aussi un concept étudié par la philosophie de l’esthétique ( voir Platon, David Hume, Kant, Hegel, Karl Jaspers. Pour Platon les moyens d’initiation à la Beauté sont la purification, l’ascension et la contemplation).

Le Beau, à travers une expérience sensorielle ou – et – intellectuelle procure une sensation de plaisir ou un sentiment de satisfaction. Quant au sublime, il est disproportionné, terrible par rapport au beau qui doit rester harmonieux et attirant !

La Beauté ne peut être généralisée ; ce qui est beau pour certains ne le sera pas forcément pour d’autres. Ses sources sont : la forme, l’aspect visuel, le mouvement, le son…

Ajoutons que la dichotomie du beau et du laid trouve en philosophie son illustration première dans la figure de Socrate ( belle âme mais laideur physique)

Quelques emplois, expressions, locutions et citations –

le beau sexe – faire le beau – du beau monde – se faire beau – par un beau matin ou beau jour – par beau temps – les belles années – la belle époque – avoir le beau rôle – une belle âme – le bel usage – être beau joueur – avoir un beau jeu – une belle paire de gifles – mordre à belles dents – faire un beau mariage – en dire ou en faire de belles – lui faire une belle jambe – être dans de beaux draps – être dans un bel état – un beau vieux – c’est un beau salaud – il ferait beau que… – au beau milieu de – avoir beau chercher – beau dommage – à la belle étoile – la manquer belle – la bailler belle – l’échapper belle – montrer beau – porter beau – voir tout en beau – être au beau – belle-de-jour et belle-de-nuit – faire la belle (au jeu )- attendre sa belle – le Beau (esthétique) – de plus belle – belle-mère…père, fille, fils – la Belle au Bois Dormant – la belle époque – beau comme un camion – la beauté du diable – un beau parleur – Bel-Ami – etc…

Tout nouveau tout beau

Mais on a beau faire, mais on a beau dire

Beauté n’est qu’une image fardée

Il n’est point de si belle rose qui ne devienne gratte-cul

Beauté sans bonté est comme un vin éventé

La beauté ne se mange pas en salade

Sois belle et tais-toi

Beau et con à la fois

La beauté est la lumière de la vérité

De tout temps la beauté a été ressentie par certains comme une secrète insulte (Debussy)

La beauté n’est qu’une promesse de bonheur ( Stendhal)

Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie (Lautréamont)

A – Nous voici immergés dans le Beau, idées et vocabulaire – Mais nous venons ici de prendre une image plutôt laide. Comme un plasticien, nous décrivons pas à pas de quelle façon nous allons opérer pour transformer le LAID en BEAU-

Camille a choisi cette image

Par Camille :

Photo du visage d’une brune, la trentaine assurée, les cheveux longs, faisant des minauderies en se couvrant les yeux de deux bretzels en guise de lunettes et faisant une grimace.

Comment la rendre plus belle ?

Séance de travail chez un photographe de mode

Elle est arrivée en retard et énervée. Avait-elle bu ? Ou bien fumé quelques herbes illicites ?

Lui, le photographe était habitué aux fantaisies de ses modèles, qu’il louait régulièrement à l’heure, auprès d’une agence spécialisée. Il devait travailler avec elle pour une nouvelle collection de vêtements d’été dans un décor champêtre.

Déborah, ainsi se nommait-elle, n’arrêtait pas de faire des grimaces et s’amusait de tout, saisissant des bretzels sur un plateau de boissons, elle se les mit sur les yeux en guise de lunettes et éclata d’un rire sonore, marque d’une bien mauvaise éducation. Elle ne cessait de s’agiter en moult grimaces et singeries.

Il parut évident qu’elle était incapable, dans l’instant, de se plier aux exigences du photographe. Il aurait pu la renvoyer comme non conforme à sa demande auprès de l’agence. Mais, la commande était urgente, il fallait livrer les épreuves dans moins de 24 heures. Il lui ordonna d’un ton péremptoire d’aller se détendre dans la pièce attenante qui disposait d’un modeste canapé de repos.

Il reprit alors ses premières photos pour travailler sur un protocole de modifications, afin de rendre cette personne plus attrayante à regarder. Car, même si les corrections numériques étaient son point fort, il lui fallait une bonne image bien réussie au départ pour idéaliser son modèle. Entre ses mains, les beautés féminines devenaient quasiment irréelles et de pure invention. Les femmes ainsi représentées n’existaient pas, et n’existeraient jamais.

Il prépara une fiche pour la maquilleuse et la coiffeuse :

  1. Discipliner cette coiffure trop désordonnée et libre

  2. Le visage serait maquillé avec des fonds de teint très clairs, en supprimant les ombres pour en faire une figure plus lisse et saine. Bien matifier pour éviter les zones brillantes.

  3. Le gloss serait mat également, pas de sensualité directe dans les produits à vendre.

  4. Retirer la montre fort mal portée et moche.

  5. Se méfier de la position de ses avant-bras, éventuellement les colorer au fond de teint assorti.

Pour ses robes, il faudra les harmoniser avec le décor prévu. Rechercher des décolletés en V, et bien appliquer du fond de teint également.

Déjà il imaginait ce que cette personne allait devenir, comment apparaîtrait-elle sur ses photos. Il ne pensait pas du tout qu’il trichait ou mentait. Après tout, les peintres portraitistes de tous les temps n’avaient-ils pas embelli leurs modèles royaux, princiers et même riches bourgeois.

Tout à ses réflexions, il alla chercher son mannequin qui devait maintenant avoir un peu repris ses esprits. En ouvrant la porte, il découvrit une femme vautrée sur le canapé, les cheveux en bataille, la robe froissée et légèrement retroussée laissant entrevoir des jambes trop blanches. Elle ronflait comme un soudard aviné.

Il se dit qu’il allait avoir beaucoup de travail !

Myriam a choisi cette image!

Par Myriam :

« Ne bougez plus Messieurs, stop s‘il vous plait ! »

«  Prenez la photo au ras du sol. Que voyez-vous ? » dit le prof à ses étudiants d’art plastique admis exceptionnellement sur la base militaire de St Louis le temps d’une étude sur l’homme cet autre « ne le dites pas, notez ce que vous voyez, un peu comme si vous faisiez une liste de courses », poursuit-il.

Eléonore s’exécute

  1. Des jeunes militaires qui finissent leur classes et qui sont au bout du rouleau

  2. Des traces de blessures et d’intenses fatigues

  3. Des trainées dans la terre comme celles que font les tortues vertes après avoir pondu sur les plages des Galápagos

  4. Une femme blonde comme un cheveu sur la soupe

  5. Des hommes qui en tractent d’autres sur leur dos, écrasés par leur charge

  6. Un exercice de guerre

En lisant au dessus de l’épaule d’Eléonore, le prof lui murmure

« C’est cela »

Puis à haute voix pour tous : « imaginez maintenant une œuvre d’une beauté rare »

Eléonore élabore d’abord son concept et, après quelques instants, va voir le prof plongé dans ses lectures et lui livre ses idées :

« L’homme est capable de se dépasser, l’homme stimulé par l’esprit collectif peut se tirer de n’importe quelle situation »

« Voilà ton thème » dit le prof « pense image maintenant ».

Petit à petit l’image devient nette dans la tête d’Eléonore.

Je dessinerai une tour faite avec des mains, des mains de toutes tailles, de toutes couleurs, des mains de vieillards et de bébés, des mains vivantes superposées, des mains tendus, des doigts de fée, des mains bourrues, agencées comme un château de cartes avec des milliers de phalanges encastrées… et, posé tout en haut un duvet de plume d’un blanc d’aube naissante, comme faisant une pause sur le toit du monde, juste avant le grand vent et l’orage.

« Et que représente pour toi la plume ? » demande le professeur.

Eléonore, dans un souffle répond « la paix volatile »

« D’accord Eléonore, essaie »

Marie Christine a choisi cette image

 Par Marie-Christine

Y a du boulot mais bon ! Je suis là pour ça.. Ton apparence n’est pas des plus charmantes. Mais faut plus que ça te tourmente. Tu n’y es pour rien. Et moi je ne veux que ton bien. L’opération prendra plusieurs heures. Il va falloir t’amputer des mains (trop grandes), des jambes (trop grosses), des pieds (démesurés), du torse (maigrichon) et de ta tête (pas mal effrayante). Je me suis déjà occupé des prothèses. Elles ne sont pas données. Mais tu seras à 98% remboursé. Je me suis renseigné. J’ai choisi ton prochain look. J’ai fait un copié-collé du visage de Meghan Markel. Tes mains seront celles de Brigitte Fontaine. Tes pieds ceux de Jean-Paul II. Tes jambes celles de Jean Ferrat. Pour le torse je te laisse le choix. Tes bras, tels quels, on gardera. Rendez-vous vendredi 15 à 07h00. A priori les greffes devraient prendre. J’ai déjà créé 17 humains.. A partir de rien. Mais ils forment un tout. Tu sera la nouvelle pièce de mon imaginaire. Tu baignais dans la laideur. Je vais te mette du baume au cœur. Jusqu’à présent mes opérations ont été des succès. Je suis moi-même un être recréé. A partir de qui, ou quoi, je te laisse deviner. J’ai juste conservé ma tête. Je dois faire avec mes idées. Ma technique. Ma folie.

Sylviane a choisi cette image

Par Sylviane : Du cauchemar au rêve –

Cauchemar mauve, cette nuit encore tiraillée en géométries brisées, droites et angles à déchiqueter tous les rêves. Ils surgissent, pantins pâles désarticulés, ficelles emmêlées. Et me dévastent lentement, insidieusement. Qu’en faire pour épouser la douceur ?

J’aurais voulu les pénétrer, les nourrir de concret, de matière riche et apaisante, leur donner corps dans l’absolu de mon Beau personnel…

Mon Beau, parfaitement simple et pur, celui des chairs tendres. J’ai toujours beaucoup aimé les courbes, allant vers elles en caresses, en désir non retenu. Mais je les vois, eux tous, en leur monde abstrait, mordant comme l’hiver. Touchés, vacillants, désorientés, très mauve.

Je les aurais initié, ces aigus, ces squelettes, à la grâce d’un Boticelli, à celle des odalisques gavées de miel. Changer les apparences serait-il si superficiel ? Je pressens un fond métallique à mes pantins de nuit. Les toucher du doigt, comme une baguette magique ? Impensable… Alors cette nuit, à bout d’imagination, je partirai ramasser toutes les fleurs de coton. J’irai cueillir des perles d’eau, des filets de lune et des moires.

Sur les squelettes mauves, sur leurs ficelles, sur leurs zigzags, je déposerai mes cueillettes. Petite musique de nuit, Mozart et moi allons redéfinir les formes et l’espace. Et puis, enfin, ayant accompli l’essentiel, juste avant le sommeil, j’appellerai les rêves.

Francis :

Transformer le laid en beau

En arrivant dans la section des peintres du début du XXe siècle, je remarquais une toile dont l’exposition soulignait l’importance de l’œuvre, car elle était suspendue au centre de la vaste salle.

En approchant du chef-d’œuvre, je vis un homme assis sur une barquette qui semblait sommeiller. À mon approche il sursauta imperceptiblement mais suffisamment pour que je remarquasse sa surprise. Je le saluais discrètement sans avoir l’air de vouloir lier conversation, mais avec assez d’assistance pour qu’il reconnût ma présence. Il contemplait la toile et à l’expression de son visage je pouvais comprendre qu’il y trouvait une immense valeur esthétique. Le tableau représentait un couple. Une femme assise sur une chaise de jardin devant un homme debout, d’une remarquable laideur, le visage triste, les traits tirés, le contour du visage anguleux, les lèvres fines, les cheveux plats et surtout le cou très court ; tout la faisait ressembler à ces têtes de papier mâché que l’on bombarde de boulettes dans les baraques de foire.

Je m’assis près de l’inconnu et pour l’agacer je lui fis remarquer à quel point cette femme était hideusement représentée. Il me sourit et me répondit : « Vous avez fort bien saisi mon esprit. Voyez-vous, je pourrais corriger ce terrible défaut de laideur. Il suffirait de lui ôter ce bandeau qui retient sa coiffure et de laisser couler sur ses épaules le fleuve de ses cheveux obscurs. Son visage perdrait de sa froideur et son cou s’allongerait. On pourrait aussi lui ouvrir les lèvres et laisser paraître une rangée de dents éclatantes qu’un sourire mettrait en valeur. Enfin, imaginez lui clore les yeux à demi pour qu’un regard glisse mystérieusement vers un inconnu … pour compléter la transfiguration je lui ouvrirais le corsage sévère et déposerais une belle dentelle de Flandre sur sa poitrine dont on devinerait ainsi le battement ému. »

Je restais stupéfait devant le mécanisme de cet esprit esthète que je n’attendais pas chez cet inconnu. Je balbutiais alors : « Et l’homme… ? ». « L’homme ? D’abord je le raserais, je couperais ces bacchantes, et je gonflerais sa chevelure d’un souffle sauvage ; je lui ouvrirais la bouche comme si un rire en sortait et je jetterais son veston sur un buisson laissant son buste à demi-nu sous la chemise. »

Sans crier gare il se leva et à ma grande stupéfaction il ouvrit une mallette de couleurs, en tira des pinceaux et des brosses puis commença à barbouiller le portrait.

Je m’enfuis avec horreur ne doutant pas d’échapper au risque d’être saisi par un gardien et jeté en prison pour complicité d’un acte criminel.

Lorsque je fus hors de danger, je songeais que peut-être cet homme avait eu plus de courage que moi, car le tableau était vraiment hideux et son projet de transfiguration magnifiquement pensé, mais pas nécessairement applicable à la lettre…

B – Nouveau choix d’images, toutes représentant une laideur avérée, qui vont faire le tour des écrivants. Chacun la qualifiera par 2 adjectifs et 2 verbes. Ces mots récoltés sont pris en note ( 7 minimum) et seront à insérer dans un texte « mode d’emploi » (donc emploi des verbes au mode IMPÉRATIF… c’est impératif ).

Libre choix quant au thème de ce mode d’emploi

Myriam a choisi cette image

Par Myriam :

«  Vous avez entre 20 et 40 ans, envie de vivre une expérience inédite, un goût immodéré pour les surprises sucrées salées, vous vous reconnaissez dans ce portrait, appelez sans tarder au 06 07 06 66 66.

Quelques suggestions pour bâtir votre personnage :

– Votre maquillage évoquera un être craintif et angoissé, mystérieux

– Loup autorisé mais coiffe bizarre appréciée, vêtements près du corps

– Allure : une démarche fragile et déjantée attendue, un test de marche sera effectué

– Des accessoires permettant de bâillonner, intriguer, délirer seront habilement cachés dans votre costume. Ils permettront de défier les participants, de mendier leur l’attention.

Âmes scrupuleuses ou moralistes, s’abstenir Cette annonce vous intrigue, appelez moi.

Conditions financières définies après rencontre. »

Marie-Christine a choisi cette image

 Par Marie-Christine

Mode d’emploi pour bien se faire détester, tout en se ressourçant. Mots reçus et obligatoires en gras

Pour s’isoler être pète-sec et grimaçante.

Pour se cacher être pâlichon.

Pour se renfrogner être grognon et ronchon.

Pour bien dormir ne pas être maladif.

Pour se taire rester coincé.

Pour crier être acariâtre et sèche à la fois.

Et pour oublier les emmerdes faire le canard.

Par Sylviane (mots reçus et obligatoires en gras)

Chasse au mari, mode d’emploi

Chère esseulée, ne vous laissez pas abîmer par la solitude et, si vous êtes déterminée, suivez mon conseil du jour :

Un matin d’automne, bien camouflée derrière casquette et lunettes noires, partez par les chemins boueux. Barbouillez-vous d’un peu de terre, souillez-en vos chaussures et engagez-vous en campagne profonde. Attention ! Pas de sourire conquérant, prenez plutôt l’air accablé de celle qui s’est perdue en forêt. Ainsi, toute tachée, les doigts bleuis de froid, laissez votre moral se dégrader. Tombez à terre sans réfléchir, vautrez-vous carrément jusqu’à obtenir des taches sanguinolantes sur votre visage.

Un beau chasseur surgit alors, vous découvre, s’approche et vous propose son aide… L’air perdu, fixez-le de vos yeux humides. Soyez la biche aux abois. La suite vous appartient, chère esseulée.

Atelier du 31 juillet 2018